Abdelhak ZERRAD, FLSH Sais-Fès, Université Sidi Mohamed Ben Abdellah Fès, Maroc
Au début du 20ème siècle, le Maroc va passionner les écrivains voyageurs qui vont découvrir en le royaume chérifien une altérité radicale difficilement déchiffrable. L’homme et l’espace marocains vont susciter les élans exotiques chez nombre d’écrivains français dont nous citons à titre d’exemple : André Chevrillon, Eugène Aubin, Pierre Loti et Charles de Foucauld. Mais c’est l’Islam qui va constituer pour ces auteurs une énigme qui défie leur compréhension. Issus d’une tradition républicaine est laïque qui remonte à la révolution française et pétris d’une culture chrétienne dont l’imaginaire est façonné par les guerres de religions, ces auteurs vont développer à l’égard de la religion islamique une posture ambiguë qui suscite le questionnement. D’autant plus qu’ils vont se rendre compte que cette religion a donné naissance à une identité marocaine forte, à un système de gouvernement qui tire sa légitimité du fait religieux et à un vivre ensemble que façonne le rite religieux.
Notre intention est de nous pencher sur le problème de la réception de l’Islam par les écrivains-voyageurs. Chaque auteur va percevoir l’Islam à sa manière et en fonction de son appartenance idéologique ou esthétique.
Eugène Aubin qui fut influencé par Montesquieu ne va voir en l’Islam que les manifestations qui en font un instrument de pouvoir. Il s’attèlera dès lors à décrire avec minutie l’équilibre des forces entre les Zaouïas et le pouvoir central. Charles de Foucauld, sous l’influence des conceptions renaniennes sur la race sémite, va développer un discours haineux à l’égard de l’Islam ne voyant en ce dernier qu’incitation à la haine de l’autre. Nous nous appuierons sur les thèses d’Edward Saïd pour relever la teneur à la fois raciste est orientaliste de ce genre de discours. En cela Foucauld rencontre Pierre Loti qui va passer de la fascination à la haine du Maroc. Il n’en reste pas moins que tous les auteurs que nous avons cités ont été interpellés par la présence juive au Maroc. Ce fut pour eux l’occasion de stigmatiser l’Islam. Ces voyageurs vont découvrir le Maroc après la promulgation du décret Crémieux qui accorda la nationalité française aux juifs de l’Algérie. Leurs discours témoignent d’une compassion à l’égard des israélites qu’ils font découvrir en tant que communauté martyrisée par les musulmans. Il n’en reste pas moins que la défense des juifs sous-tend un discours colonialiste qui prépare l’avènement de l’occupation française du Maroc. Seul André Chevrillon va développer un discours hospitalier à l’égard de l’Islam. Il va être fasciné par l’Islam auroral mais stigmatisera les manifestations obscurantistes qu’il revêt au sein des Zaouïas. Chevrillon va aborder l’Islam en insistant surtout sur la temporalité de cette religion qui le fascine. Il va focaliser le regard sur les immobilités d’un Islam qui favorise la spiritualité au détriment d’une temporalité occidentale hantée par la vitesse est le progrès.
Notre intention est de décrypter dans un premier temps le discours des écrivains voyageurs sur l’Islam pour ensuite en dégager la vision du monde qui le nourrit. Nous nous pencherons dès lors sur la teneur orientaliste, quelques fois exotiques, est rarement romantique de ce discours. Nous allons nous appuyer sur la thèse de Georges Corm qui considère que la fracture entre l’Occident et l’Orient est imaginaire. Elle se nourrit de présupposés, de clichés et d’un discours qui puise ses arguments dans le discours que tenaient les croisés sur l’Islam. Nous confronterons ce discours aux travaux des spécialistes qui se sont intéressés à l’Islam afin de mettre en exergue le manque de cohérence du discours orientaliste sur l’Islam.
Notice biographique:
Abdelhak ZERRAD est titulaire d'une thèse de doctorat intitulée : Images du Maroc : La représentation de l’Homme, de l’espace et du temps chez les écrivains voyageurs de l'ère précoloniale. Il est professeur de français à Fès. Ses recherches portent essentiellement sur le dialogue interculturel, intercivilisationnel et interreligieux. Il se focalise sur la critique du concept huntingtonien de " choc des civilisations" et propose en contrepartie d’établir le vivre ensemble à la base de la connaissance, de la reconnaissance et de l'hospitalité. Professeur Zerrad est l'auteur de plusieurs articles portant sur les questions de l'identité et de l'altérité. Il participe fréquemment à de nombreux colloques internationaux dans le but de cultiver la rencontre fécondatrice et de promouvoir la philosophie de l'ouverture. Il a à son actif plusieurspublicationset communications :
- « Un crépuscule d’Islam, un espace de dialogue des cultures », Revue Dalhousie French Studies, N° 108, Dalhousie, Canada, 2015.
- « Le voyage dans un crépuscule d’Islam, un dévoilement de l’être », Voyage, Errance et Exil, Ouvrage collectif, Université Sidi Mohamed Ben Abdallah, Faculté des Lettres et des Sciences humaines, Saïs-Fès, 2016.
- Mai 2016 : « Un crépuscule d’Islam, un espace de dialogue des cultures » communication présentée dans le cadre du colloque international « Du colonial et du postcolonial en littérature francophone », organisé par la Faculté polydydisciplinaire de Taroudant et l’Université Dalhousie, Taroudant 2016.
- Avril 2016: « Chevrillon entre sentiment d’exil et sensibilité romantique », communication présentée au colloque national « Représentations de l’exil : de la fermeture systématique à l’ouverture utopique », Université Sidi Mohamed Ben Abdallah, Faculté des Sciences Humaines Saïs- Fès, 2016.
- Novembre 2016 : « Charles de Foucaud, un explorateur déguisé en rabbin » qui présentée au colloque international « Identités dissimulées, Le voyage anonyme dans les sociétés anciennes et modernes » 22-24 novembre 2016, Centre de recherches interdisciplinaire en histoire, histoire de l’art et musicologie, CRIHAM, Universités de Limoges et de Poitiers, France.